La fin de la viralité : quand Internet se replie sur lui-même

La fin de la viralité : quand Internet se replie sur lui-même

À ses débuts, Internet était un immense territoire, presque sans frontières, où chacun pouvait naviguer au gré de ses envies, découvrir des contenus variés, et se laisser surprendre. Aujourd’hui, cette liberté a peu à peu cédé la place à une navigation guidée par les algorithmes. Ce ne sont plus nos choix qui orientent nos parcours, mais des mécanismes invisibles qui sélectionnent ce que nous voyons, en fonction de nos comportements passés.

Résultat : nous sommes de moins en moins exposés à des contenus inattendus ou extérieurs à nos préférences. Chaque internaute finit par explorer une version d’Internet façonnée pour lui, bien différente de celle de son voisin. Cette personnalisation extrême transforme notre rapport au web : ce n’est plus un espace commun, mais une multitude d’expériences individuelles, cloisonnées.
 

La révolution algorithmique : TikTok en ligne de mire

Cette mutation, pour certains observateurs, trouve son origine dans l’ascension fulgurante de TikTok. Selon le journaliste Ryan Broderick, ce réseau social chinois a redéfini notre manière de consommer Internet. Contrairement à Facebook ou Twitter, où la viralité passait par un effet de masse, TikTok mise sur l’identification de niches très précises.
Son algorithme ne cherche pas à créer un contenu universellement populaire, mais à proposer une infinité de contenus parfaitement adaptés à chaque utilisateur.

Dans ce modèle, il n’y a plus de viralité globale : ce que je vois sur TikTok n’est pas ce que vous voyez. Et plus largement, ce que je vis sur Internet ne ressemble plus à ce que vit un autre utilisateur. Chacun évolue dans une sorte de bulle numérique sur mesure.
 

Vers un web fragmenté

Cette transformation soulève des questions profondes. Si chaque internaute est enfermé dans un écosystème qui lui est propre, peut-on encore parler de cultures communes ou de contenus partagés à grande échelle ? Même les vidéos les plus vues sur TikTok peuvent passer complètement inaperçues auprès d’une majorité. La viralité de masse, telle qu’on la connaissait à l’ère des débuts de YouTube ou des mèmes universels, semble en voie de disparition.

Ce nouveau paysage numérique pourrait également redessiner les structures de pouvoir en ligne. Fini les grandes plateformes ou figures hégémoniques : place à une multitude de micro-communautés, chacune centrée sur ses propres références, ses propres créateurs. Une logique que les professionnels du marketing d’influence ont bien comprise, en misant de plus en plus sur des nano ou micro-influenceurs aux communautés réduites mais engagées.
 

Un Internet paradoxalement plus proche du passé

Ce cloisonnement algorithmique peut paraître paradoxal. Internet, qui avait aboli les distances et brisé les silos culturels, semble aujourd’hui recréer des barrières.
En multipliant les bulles de filtres et les contenus hyper ciblés, on revient presque à un fonctionnement pré-numérique : un monde où chacun reste ancré dans son environnement immédiat, social et culturel, sans réelle ouverture vers l’extérieur.

L’utopie d’un Internet universel, commun, ouvert à tous et à toutes, semble s’éloigner. En personnalisant à l’extrême l’expérience de chacun, en poussant les logiques d’algorithmes à leur paroxysme, on a peut-être sacrifié l’un de ses principes fondateurs : le partage collectif.

Ce qui se joue ici, c’est une forme de retournement. En voulant tout adapter, tout optimiser, on a fini par fragmenter l’expérience jusqu’à faire disparaître l’idée même de viralité. En somme, Internet est en train de se refermer sur lui-même.