Ce que signifie vraiment « liker »

Loin de favoriser l’échange d’idées ou le débat constructif, le « like » sur les réseaux sociaux semble surtout nourrir une quête sans fin de reconnaissance numérique. Plus on en reçoit, plus on en désire. Cette dynamique reflète un besoin constant de valider son capital social en ligne, poussant certains à adapter leurs publications – voire leurs cercles – pour s’assurer un flot régulier de mentions « J’aime ».
D’où vient le bouton « like » ?
Le bouton « like » trouve ses origines au début des années 2000 avec FriendFeed, un agrégateur de flux sociaux lancé en 2007. Ce bouton n’était alors qu’un test parmi d’autres – étoile, signe plus… Lorsque Facebook rachète la plateforme, il transforme ce petit outil en l’un de ses symboles les plus puissants. En parallèle, YouTube abandonne son système de notation par étoiles en 2010 pour lui préférer un simple pouce vers le haut. Instagram, Twitter ou encore TikTok optent pour le cœur. Très vite, le « like » devient un réflexe universel, un geste banal… en apparence.
Car derrière sa simplicité se cache une portée bien plus grande. En 2020, un tribunal de Zurich a jugé que liker une publication pouvait être juridiquement assimilé à une approbation de contenu diffamatoire – et donc condamnable. Au Royaume-Uni, en Inde ou encore en Thaïlande, des utilisateurs ont même été inquiétés ou arrêtés pour avoir « aimé » des contenus jugés offensants ou illégaux.
Le « like » : un outil de mesure plus qu’un signe d’opinion ?
Le « like » n’a pas été conçu comme un moyen d’expression pour les internautes. Dès le départ, il s’agissait surtout d’une métrique, un outil pour mesurer la popularité d’un contenu. Selon la philosophe Lucy McDonald, le bouton ne sert pas tant à exprimer une appréciation sincère qu’à quantifier une forme de capital social.
Pour elle, ces métriques ne sont pas une mesure fiable de l’estime. Elles rendent visible en ligne ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelait le « capital social », c’est-à-dire l’accumulation de ressources relationnelles. Résultat : une inflation de contenus conçus pour maximiser les « likes » … quitte à sacrifier la véracité ou la pertinence du message.
Le désir de reconnaissance en ligne peut ainsi inciter à publier des contenus racoleurs, sensationnalistes ou manipulateurs. On ne cherche plus à dire le vrai, mais à obtenir une réaction.
Un enjeu politique autant que social
Le vrai problème du « like », c’est qu’il s’impose comme une forme de validation, remplaçant progressivement l’importance du débat et de l’argumentation par la simple popularité. Cela renforce une logique de rhétorique plutôt que de rationalité : la forme l’emporte sur le fond, l’émotion sur l’analyse.
Pendant longtemps, Internet a été perçu comme un espace libre, égalitaire, propice à la discussion démocratique. Certains y voyaient même la possibilité d’une « situation idéale de parole » telle que décrite par Jürgen Habermas, où l’argumentation raisonnée prime. Mais l’introduction du « like » a changé la donne : il a rendu visibles et mesurables les préférences émotionnelles, favorisant une logique de séduction plutôt que de conviction.
Le like entretient le like
Le problème ne réside pas tant dans l’existence du bouton lui-même que dans le fait de compter publiquement les likes. Cette logique de score a transformé l’expérience en un jeu, où la valeur d’un propos est jugée non sur sa qualité, mais sur sa capacité à générer des réactions.
Les utilisateurs se rapprochent alors de cercles qui pensent comme eux, réduisant leur exposition à d’autres opinions. C’est ce qu’on appelle des bulles épistémiques ou des chambres d’écho, des espaces fermés où la pensée se replie sur elle-même.
Et si on imaginait un Internet sans like ?
Un web sans likes serait sans doute moins quantifié, moins compétitif, plus centré sur le message que sur sa réception. Il ne s’agirait plus de séduire, mais de partager un propos juste ou pertinent. Même si le like n’est pas responsable de tous les travers du numérique, il cristallise cette tendance à tout évaluer, tout classer, tout mesurer.
Supprimer le « like » pourrait être un premier pas vers une communication en ligne plus saine.
Le like, miroir du web contemporain
Enfin, le bouton « J’aime » est aussi un outil d’analyse algorithmique. À chaque interaction, il alimente les graphes de connaissance – ces cartes relationnelles utilisées pour recommander du contenu, cibler des publicités ou détecter des tendances. Comme le rappelle le philosophe du web Harry Halpin, ces graphes, aujourd’hui contrôlés par des géants du numérique, posent des questions éthiques majeures : à qui appartiennent ces données ? Que peuvent-elles permettre de contrôler ?
En somme, le « like » incarne à lui seul une vision du web axée sur la performance et la visibilité. Le réformer, voire s’en passer, serait un acte politique fort. Un rêve peut-être… mais un rêve qui mérite d’être formulé.